La Terre nous parle
Gaia s'éveille à travers nous
On a beaucoup écrit et parlé à propos de cette idée qui veut que la Terre elle-même,
prise dans son ensemble, soit comparable à un être vivant doté de fonctions vitales
et capable de s'auto-réguler et ainsi de demeurer "en vie". En cette époque où pour
la première fois l'humanité risque de mettre à mort, littéralement, la planète grâce
à laquelle notre évolution depuis les premiers animacules marins et, en fait, notre
existence même aujourd'hui, ont été possible, le symbole de la déesse Gaia, du nom
que les anciens grecs donnaient à la Terre, est devenu un point de ralliement pour tous ceux
et celles qui croient en la possibilité d'un changement radicale dans notre manière
de voir, percevoir et concevoir notre planète. Les notions d'interdépendance de toute
Vie et de grande fragilité des écosystèmes dont dépendent les myriades d'espèces vivantes
peuplant notre monde sont maintenant admises par la science et par toutes les couches
de la société.
Mais pourquoi alors nous acharnons-nous à détruire l'environnement par notre mode
de vie gaspilleur et peu soucieux des conséquences à long terme, demeure un mystère
qu'il est urgent d'élucider. Alors que les experts en environnement, aussi bien du
gouvernement que des groupes écologiques, nous avertissent que le temps nous est compté pour
effectuer des changements majeurs dans notre comportement à l'égard de la planète,
il est tentant de se poser la question: "Qu'est-ce qui fera vraiment changer l'être
humain au point où il prendra vraiment à coeur la sauvegarde de l'environnement et fera
les changements qui s'imposent?" Pour trouver une réponse à cette question vitale,
il faudrait peut-être commencer par se demander: "Qu'est-ce qui nous relie aux plans
émotionnel, aussi bien que psychologique et spirituel, avec cette matrice de toute Vie
qu'est notre planète?" Peut-être est-ce par là qu'il faut commencer à chercher pour
trouver l'explication de notre apparente indifférence face aux menaces qui pèsent
sur l'avenir de la Vie sur Terre.
Ce n'est que récemment que l'image de la Terre vue de l'espace nous a été rapportée
par les premiers astronautes à s'être rendus sur la Lune. Depuis ce temps, la perception
que la Terre est notre maison commune, ou notre vaisseau spatial, ou encore un village global uni par la technologie et les communications, et enfin un être vivant capable
de contrôler sa température et les différentes composantes chimiques de son environnement
global, a marqué à divers degrés l'expérience et la vision que la plupart des humains ont de cette planète. Cette ouverture graduelle de notre esprit à la beauté
unique et irremplaçable de la Vie sur cette boule d'eau et de pierre suspendue dans
les espaces intersidéraux a permis pour une bonne part l'essor foudroyant des groupes
environnementaux et de la conscience écologique qui de nos jours ont atteint le sommet
de l'agenda gouvernemental, tel que démontré par la tenue du Sommet Planète Terre(1)
de Rio de Janeiro. Bien sûr, les souffrances subies à la suite des catastrophes environnementales de même que les cris d'alarme lancés par les scientifiques à propos de
l'avenir de la planète ont aussi grandement contribué à attirer notre attention sur
le sort peu reluisant fait à notre bonne vieille Terre.
Pourtant au-delà de cette ouverture d'esprit et de ces préoccupations nées de la menace
de cataclysmes écologiques, notre relation à la planète en tant qu'entité vivante
et probablement pensante se limite à fort peu de choses. La révolution intérieure
qui permet à un être humain de transcender les limites de ce que le scientifique britannique
Peter Russell(2) appelle "l'ego encapsulé dans la peau", ne s'est pas encore faite
à une échelle suffisamment globale pour affecter de manière significative la façon
de penser de la majorité de la population mondiale.
La notion de planète en danger, de Terre nourricière dont toute Vie dépend, est encore
bien abstraite et sans résonance émotive pour la plupart des gens, ce qui explique
déjà en bonne partie l'indifférence quasi généralisée à l'égard de l'écologie planétaire. Oh, bien sûr, la plupart des gens sont en faveur du recyclage ou de la préservation
de la nature par exemple; mais plus souvent qu'autrement, cette intérêt est motivé
par des considérations d'ordre pratique comme les coûts élevés d'enfouissement des
"ordures" ou du gaspillage de ressources ré-utilisables, et le besoin de loisirs tels
la chasse et la pêche, donc la nécessité de préserver les "ressources fauniques".
De même le concept tant vanté du "développement durable" qui vise à faire en sorte
que les générations futures puissent encore, comme nous le faisons aujourd'hui, profiter
des ressources de la planète, ne constitue en somme qu'une forme de prise de conscience de notre responsabilité de ne pas être trop "goinfres" dans nos appétits de consommateurs
insatiables afin que nos enfants ne se trouvent pas devant une table vide lorsque
leur tour viendra de s'alimenter au festin planétaire. Et, à la remorque du mythe sacro-saint du développement économique continu, générateur de richesses toujours
plus abondantes pour une minorité choyée, on nous encourage, ne l'oublions pas, à
favoriser un développement soutenu, transformant ainsi une part de plus en plus grande
de la nature en objets de consommation pour l'unique satisfaction de notre seule espèce.
Or qu'en est-il de nos chances de survivre collectivement devant la pression sans
cesse accrue que ces modes de pensée "humano-centriques" infligent à un environnement
sur le bord de l'effondrement écologique?... Presque nulle, à moins que... À moins
que ne survienne globalement un éveil de conscience inespéré face à la fragilité de notre
"nid" planétaire et surtout un épanouissement de notre conscience supérieure qui
par l'Esprit nous relie à tout ce qui vit. Comme le disait si justement Malraux:
"Le 21e siècle sera spirituel ou ne sera pas!"
C'est ici qu'entre en jeu cette fameuse "Hypothèse Gaia", proposée par le scientifique
britannique James Loveloch(3) qui, à la suite de recherches, menées dans le cadre
des expéditions Voyager de la NASA, visant à découvrir l'existence de formes de Vie
sur d'autres planètes, en vint à se demander si la Terre elle-même ne formerait pas un
organisme vivant. Rappelons brièvement le fondement de cette idée révolutionnaire
qui, depuis sa proposition en 1970, a fait l'objet de vives controverses aussi bien
que du soutien inconditionnel d'un nombre croissant de personnes de toutes origines, touchées
par la beauté et la simplicité de cette idée.
Constatant que les instruments de lecture à bord du satellite Voyager laissaient voir
que notre planète, à la différence de Mars, bouillonne littéralement de Vie, et réfléchissant
sur le fait incontournable que depuis son apparition sur la Terre il y a trois milliards et demie d'années la Vie avait peu à peu colonisé les mers et les continents
et, ce faisant, modifié la chimie et les conditions atmosphériques de la planète
de manière à satisfaire ses exigences essentielles pour assurer sa survie, Loveloch
en vint à réaliser que "...l'ensemble ce tout ce qui vit sur Terre, à partir des baleines
jusqu'aux virus, et des chênes aux algues, pourrait à maints égards être considéré
comme une seule entité vivante, capable de manipuler l'atmosphère de la Terre en
fonction de l'ensemble de ses besoins, et possédant des facultés et pouvoirs dépassant
de loin ceux de ses parties constituantes". Pour permettre de mieux comprendre les
phénomènes fascinants qui contribuent à maintenir cet équilibre global favorisant
la perpétuation de la Vie, citons quelques-uns de mécanismes grâce auxquels la Vie contrôle
la planète, tel que mis en évidence par Loveloch:
1) La proportion d'oxygène dans l'atmosphère, rigoureusement maintenue à 21%: plus,
les forêts brûleraient jusqu'au dernier arbre, moins, beaucoup d'animaux suffoqueraient.
Orchestré par toutes les plantes et le plancton microscopique des océans, cet équilibre, grâce à la photosynthèse qui transforme le gaz carbonique en oxygène, se maintient
comme par magie depuis plus d'un milliard d'années. De plus, c'est parce que l'oxygène
est ainsi apparu que la couche d'ozone a pu se former et la Vie coloniser les surfaces émergées du globe.
2) De même la température moyenne à la surface du monde évite les écarts extrêmes,
malgré les épisodes glaciaires qui n'affectent pas la ceinture verte équatoriale,
grâce au contrôle par les plantes et le plancton des océans de la proportion du gaz
carbonique à "effet de serre" qui retient la chaleur du soleil dans l'atmosphère, un peu
comme le font les vitres d'une serre. D'autres facteurs, tels le couvert végétal
favorisant une pluviosité régulière grâce à l'évaporation par les feuilles, et l'ensemencement des nuages à l'aide d'un élément chimique particulier produit par de minuscules
organismes marins, démontrent une fois de plus le rôle clé de la Vie pour le maintien
de conditions propices à son existence continue.
3) Une autre composante essentielle à l'harmonie de la biosphère est le taux d'acidité
des pluies qui est maintenu au degré optimal par la présence d'ammoniaque dans l'air,
à nouveau fruit de l'activité biologique. Pas assez d'acidité et les sels minéraux
indispensables à la bonne santé des plantes ne seraient pas mis en circulation par
réaction acide. Des pluies trop acides par contre délavent les sols de leurs éléments
minéraux et affaiblissent d'autant les plantes, sans compter l'effet dévastateur
d'une eau trop acide pour la survie des lacs et rivières.
4) Le taux de salinité des océans enfin. Par un mécanisme encore incompris, les océans
parviennent à maintenir à exactement 3.4% le degré de salinité de leurs eaux, ce
qui est le pourcentage idéal pour toutes les formes de Vie peuplant les mers. Sans
cesse l'irrigation des continents amène par les fleuves et rivières de nouveaux sels dans
les océans, et ce depuis qu'il a commencé à pleuvoir sur Terre. Pourtant, jamais
sauf dans la Mer Morte (justement!) le taux de salinité n'a dépassé 3.4%. Deux pourcent
de plus et toute Vie disparaîtrait des océans!
Loveloch a répertorié plusieurs autres facteurs semblables qui, réunis ensemble et
maintenus stables pendant des centaines de millions d'années, ont permi le foisonnement
prodigieux de dizaines de millions d'espèces qui, par le laborieux processus d'évolution, ont façonné le monde et mené à l'apparition de notre propre espèce. On sait les
dommages considérables causés justement par notre espèce au fragile équilibre dont
dépend la survie de tout ce qui grouille et respire en ce monde. Comme l'affirme
lui-même Loveloch, même si nous parvenons à "bousiller" suffisamment l'écologie de la planète
pour mettre notre propre survie en péril, il y a fort à parier qu'une extinction
massive d'espèces - ce serait la sixième à survenir dans l'histoire de la Terre,
la première provoquée par une seule espèce - ne serait perçue par Gaia que comme une indisposition
passagère dont elle se remettrait avec le temps. Quelques millions d'années ne représentent
qu'une courte période à son échelle.
Pourtant, malgré cette observation un peu cynique, il y a un élément dans la situation
actuelle qui diffère des périodes d'extinction massive précédentes et qui mérite
d'être soigneusement pris en considération. Cet élément est le suivant: S'il est
vrai que la Terre est un organisme vivant doué d'une certaine forme de conscience globale
lui permettant d'intervenir intelligemment pour maintenir ses fonctions vitales et
assurer sa survie, n'est-il pas logique alors de penser que cette entité poursuit
un but précis à travers les péripéties titanesques de son évolution? Ne pourrions-nous imaginer
qu'elle cherche à exprimer quelque Dessein caché du Créateur et que l'étape que nous
traversons actuellement ne serait qu'une phase, cruciale il va s'en dire, de l'éveil et l'expansion de cette être vieux de plusieurs milliards d'années?
En fait, ce qu'il faut réaliser peut-être, c'est que loin d'être le fruit du hasard,
l'apparition et l'évolution de la Vie sur cette planète, comme sur une multitude
d'autres planètes sans aucun doute, répond à l'influence omniprésente d'une Force
organisatrice et hautement intelligente dont la Vie sur le plan de la matière physique n'est
qu'un des laboratoires de manifestation de Son Existence?
Donner une intention et une sagesse innée à cette être mythique Gaien ne serait en
fait que tenter de personnaliser une des multiples formes d'expression de cette Force
Universelle qui serait la véritable âme de notre planète vivante. Nous serions alors
tentés - et justifiés - d'attribuer à notre espèce un rôle clé dans le processus menant
à l'extériorisation sur le plan physique de cette Intelligence Universelle. Puisque
nous avons dans notre inconscience et notre aveuglement presque détruit notre matrice
vivante, incapables encore de contrôler sagement les forces potentiellement destructices
mises à notre disposition par une science ne réflétant qu'une infime portion du potentiel
infini d'intelligence qui s'exprime à travers nous, notre "challenge" consiste de toute évidence à trouver en nous le point de contact avec cette sagesse cosmique
encore balbutiante et à nous laisser guider par les directives éclairées de nos impulsions
intuitives afin de trouver l'équilibre qui nous manque pour protéger notre berceau de Vie et essaimer à travers l'univers, à la recherche de notre identité profonde.
Cette vision grandiose de notre devenir possible en tant que sages gestionnaires et
protecteurs de la Vie planétaire et futurs explorateurs de la galaxie peut sembler
à première vue ridicule et déplacée alors qu'il y a tant de choses plus importantes
à faire et à penser. Néanmoins, nombreux sont ceux et celles qui ont ressenti l'Appel d'une
force intérieure grandissante qui les incite à découvrir leur potentiel divin et
à s'affranchir des limitations d'une vision trop étroite d'eux-mêmes et du monde
où nous vivons. Inspirés par la pensée orientale aussi bien que par le courant de la pensée
dites du Nouvel Age, ces chercheurs d'un monde meilleur ont par milliers d'abord,
puis par millions, sillonnés le monde et suivi le sentier de l'Eveil intérieur au
cours des 3 dernières décennies, afin de trouver la réponse à cet Appel et se préparer au
rôle essentiel de catalyseurs du changement qu'ils étaient ainsi appelés à jouer.
On les retrouve aujourd'hui aux postes de commande et d'influence de tous les échelons
de la société. La transformation fulgurante du paysage politique mondial observée
récemment n'est qu'un signe avant-coureur de ce qui se prépare alors qu'une vague
de fond irrésistible soulève la conscience humaine au-delà des préoccupations terre-à-terre
limitées pour ouvrir notre regard intérieur aux immenses possibilités qui existent,
si nous voulons bien accepter de rejeter le joug des idéologies de toute nature pour
unifier nos forces dans un élan collectif de Bonté, de Paix et d'Amour. Que l'on nomme
cette Force intérieure "Gaia" ou que l'on parle de la découverte de Dieu en nous
importe peu. L'Essentiel est que Quelque Chose d'inédit est en train de se produire
à l'échelle de toute la planète.
C'est cette transformation des consciences, ce fameux changement des mentalités que
réclament ceux qui parlent d'une meilleure gestion de notre environnement commun,
qui offre la seule porte de sortie du cauchemar planétaire qu'un siècle d'industrialisation aveugle nous a préparé. Car une fois que nous avons touché cette Vérité intérieure,
unique dans son expression pour chaque individu, il n'est plus possible de continuer
à agir comme auparavant. Notre sentiment intérieur d'une nécessité suprême de la
protection de toute Vie sur Terre prend alors le dessus sur toutes nos autres priorités,
nées d'un échelon inférieur de conscience. Nous établissons alors un lien profond,
sur tous les plans, émotionnel, psychologique et spirituel, avec cet Etre Vivant
qui sur Terre aussi bien que dans l'ensemble de l'univers, donne un sens au merveilleux incroyable
et fascinant qui nous entoure et se manifeste à travers les trésors inestimables
d'ingéniosité et de beauté de la nature.
Nous savons et nous agissons... car c'est alors la Terre qui nous parle!
(histoire à suivre...)
- Jean Hudon 1992
1) Ce sommet dont les médias ont beaucoup parlé récemment, la Conférence des Nations
Unies sur l'Environnement et le Développement tenue du 1er au 12 juin 92 au Brésil,
représente un des meilleurs espoirs de l'humanité de voir enfin s'établir des règles
et principes de développement qui limiteront la surexploitation des ressources de la
Terre et freineront les multiples formes de pollution qui en menacent l'intégrité.
-- Un espoir amèrement déçu 6 ans plus tard!
2) Peter Russell, The Awakening Earth: The Global Brain (Ark Paperbacks, London,
1982)
3) James Loveloch, Gaia: A New Look at Life on Earth (Oxford University Press, Oxford,
1979); et The Ages of Gaia: A Biography of our Living Earth (Oxford University Press,
Oxford, 1988)
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